Ricardo Basbaum
AH! OH!
Exposition
« Au départ, il n’y a pas grand-chose : du rien,
de l’impalpable, du pratiquement immatériel :
de l’étendue, de l’extérieur, ce qui est à l’extérieur
de nous, ce au milieu de quoi nous nous
déplaçons, le milieu ambiant, l’espace alentour.
L’espace. Pas tellement les espaces infinis, […]
mais des espaces beaucoup plus proches,
du moins en principe : les villes, par exemple,
ou bien les campagnes ou bien les couloirs du Métro,
ou bien un jardin public. »1
AH! OH! de Ricardo Basbaum et À votre contact, se confondre de Kelly Weiss sont deux expositions qui ont en commun une certaine « poétique de l’espace2 ». L’une comme l’autre ont travaillé sur des variations plastiques, conceptuelles et relationnelles, résultant d’une négociation entreprise avec le contexte du centre d’art et son architecture. À partir d’une observation fine des tenants et aboutissants du bâtiment historique, des déambulations et communications entre ses différentes parties, elle et il investissent ainsi les différentes espèces d’espaces comme autant de terrains de jeux. Elle et il parviennent alors à des « accords ».
En effet, AH! OH! et À votre contact, se confondre répondent toutes deux à des logiques de partitions et de « mise en scène3 ». Ces dernières sont toutefois fluides et ouvertes à la collaboration du public qui devient alors garant de la constante évolution, voire même de la reconstruction des expositions elles-mêmes.
« subhydroinfraentre
vibrosiades aquatiques résonnantes
au bord de la vibrolution intrusive »4
Ricardo Basbaum (né en 1961 à São Paulo, Brésil. Vit et travaille à Rio de Janeiro, Brésil) est un artiste dont la pratique consiste à étudier comment l’art peut servir à la fois de plateforme et d’intermédiaire pour articuler entre eux l’expérience sensorielle, la sociabilité et le langage. Ses œuvres invitent souvent les spectateur•ices à se mettre en action en répondant à des systèmes de symboles, des règles intégrées dans des scripts, la lecture de partitions, de diagrammes ou encore l’activation de jeux.
Depuis la fin des années 1980, il a créé un vocabulaire spécifique pour son travail, qu’il applique d’une manière particulière à chaque nouveau projet. Il s’agit de NBP [Nouvelles Bases pour la Personnalité], qui explore toute la complexité de la subjectivité5. Le début de ce projet coïncide avec la fin de la dictature militaire au Brésil et la montée de la globalisation. Constitués de mots et de lignes, ses diagrammes muraux peuvent alors s’envisager comme des dessins, des poèmes visuels qui convoquent tout à la fois des images, des actions et des relations. Le diagramme est un connecteur, un médiateur et un activateur entre l’œuvre, l’espace, et la subjectivité du public. NBP est activé également à travers la production d’installations, de vidéos, de performances sonores ou encore d’interventions urbaines.
Ricardo Basbaum est artiste plasticien mais également auteur et enseignant. Il est, comme il le définit lui-même, un « artiste-etc6 ». Cette plasticité de sa posture se retrouve également dans sa capacité à produire des objets relationnels. Poursuivant les explorations de Lygia Clark et Hélio Oiticica sur les effets de l’abandon de l’idée de l’œuvre comme objet fini, mais qui doit au contraire inclure la présence absolument active du spectateur pour ouvrir le champ des significations possibles, il contribue à la création d’un nouveau système d’échange d’informations et d’expériences. « La proposition artistique [devient alors] le lieu de la production des médiations […].7».
« AH! OH! Lorsque l’on entre dans l’espace de la galerie, deux grands mots sont immédiatement visibles : les deux interjections, accompagnées de points d’exclamation, projettent un son dans l’espace lorsqu’elles sont lues. La présence de ces deux grands mots contribue à activer l’installation dans son ensemble ».8
Pour Montbéliard, Ricardo Basbaum a conçu un projet artistique global qui se déroule selon deux temporalités différentes. Cette nouvelle proposition contient un certain nombre d’éléments déjà présents dans son travail ces dernières années, tels que l’emploi du texte dans l’espace comme stratégie d’incitation à l’oralité, les répétitions visuelles, l’implantation d’éléments sculpturaux structurant l’espace pour inviter à la participation. AH! OH! est d’abord un espace performatif collaboratif, puis une exposition.
À son ouverture en février, le rez-de-chaussée du centre d’art est en premier lieu un espace du « faire » et de la collecte où le public peut se déplacer et développer des relations ; produire des œuvres sonores où la voix et les mots parlés sont mis en action. À travers divers dispositifs activables, chaque personne contribue à la constitution à terme d’une œuvre commune. L’installation est composée d’objets relationnels conçus ou choisis par Ricardo Basbaum à la suite de sa propre compréhension de l’espace architectural du lieu. Mais il s’agit également pour lui, à travers cette expérience collaborative et selon des principes d’enregistrements, de comprendre la présence des personnes dans le centre d’art, agent•es9 qui font vivre l’ensemble, en se déplaçant autour des œuvres, en entrant en contact avec les dispositifs, en générant des images à travers leurs corps dans l’espace et des sons en jouant les différentes partitions laissées par l’artiste à leur attention.
Tandis qu’une salle est transformée en espace de projection en temps réel, diffusant des images captées en direct des autres salles par huit caméras, une autre salle propose un studio d’enregistrement qui, lui-même, transmet les voix et les sons produits dans la salle attenante. Cette dernière, habitée par un diagramme et des éléments sculpturaux à investir physiquement, est le lieu de l’expérimentation corporelle.
Après quelques jours de fermeture, du 7 au 11 avril, cet espace performatif laissera la place à l’exposition, aux salles remodelées, pour y accueillir notamment la projection d’un film, nouvelle œuvre constituée à partir des actions du public. « Le film fonctionnera comme une sorte de documentation de la première phase de l’exposition, générant une deuxième couche où l’exposition de l’exposition est le sujet principal à regarder. »10. L’impulsion de l’artiste de documenter l’exposition elle-même renvoie à une posture générale dans sa pratique qui considère la « forme exposition » comme œuvre.
AH! OH! se construit ainsi à partir d’une structure collaborative et relationnelle qui déploie pour Ricardo Basbaum des références à la tradition brésilienne de l’art sensoriel et expérimental. Elle permet aux visiteur•euses de réagir à l’environnement du centre d’art en temps réel et en entrant en relation avec les œuvres. Ricardo Basbaum interprète ainsi « l’héritage radical brésilien comme un ensemble de principes, ou de graines génératrices »11 à partir desquelles il ambitionne de capturer différents gestes et voix qui viendront nourrir la réflexion autour des pratiques artistiques générant de nouvelles formes d’espaces communs et partagés.
AH! OH! et À votre contact, se confondre sont deux expositions qui tendent à (é)mouvoir les usages du centre d’art en générant, selon des formes et des dispositifs différents, des situations d’hospitalité et d’action, « capables de stimuler de nouvelles relations [et] permettant d’interpréter l’hospitalité de manière à créer de nouveaux terrains »12. Chacun•e à leur manière adopte vis-à-vis du contexte, une posture ancrée d’observateur•ice et de créateur•ice de situations. Elle et il s’appuient à la fois sur des expérimentations artistiques qui ont pu les précéder, conscient•es de la fertilité des avant-gardes, tout en laissant l’espace aux bouleversements spontanés et incontournables de la relation qui s’écrit au présent.
« Le monde a besoin de tendances nouvelles en poésure et peintrie/ […] parce que nous voyons avec nos oreilles et entendons avec nos yeux/. »13
Adeline Lépine
Curatrice des expositions
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- Avant-Propos de Georges Perec in Espèces d’espaces, Éditions Galilée, 1974 ↺
- Référence à l’ouvrage de Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, Les Presses universitaires de France, 1957. Classique de la philosophie, l’ouvrage de Gaston Bachelard explore, à travers les images littéraires, la dimension imaginaire de notre relation à l’espace, en se focalisant sur les espaces intimes. En axant son propos sur la puissance de l’imagination et la rêverie, l’auteur vise à interroger d’autres manières « d’habiter le monde ». ↺
- Au sens de Camilla Murgia dans son ouvrage, Staging and the Arts in Nineteenth-Century France: Appearing, Revealing, Disappearing, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2023. Ce dernier rassemble plusieurs textes traitant de la « mise en scène » en arts visuels et la façon dont cette dernière est liée historiquement à la fois à des logiques pédagogiques, une affirmation d’une certaine conscience politique, ou encore l’apparition de principes de consommation culturelle. « La mise en scène » implique également des principes de visibilité et d’invisibilité, qu’il s’agisse des œuvres, mais également des personnes ainsi que des positions et réalités diverses. ↺
- Ricardo Basbaum, ACCORDS - sub hydro infra entre, Éditions du 19, Crac, 2024 ↺
- Au sens philosophique du terme « Qualité (inconsciente ou intérieure) de ce qui appartient seulement au sujet pensant » comme usuel « Appréciation, attitude qui résulte d’une perception de la réalité, d’un choix effectué en fonction de ses états de conscience. » (Cf. Les Trésors de la Langue Française/ ATILF. Subjectivité. Consulté le 10 décembre 2024). ↺
- La notion d’ « artiste-etc » très utilisée aujourd’hui par les jeunes artistes brésilien•nes est à l’origine développée dans un texte paru en 2002 en anglais dans le cadre du projet The next Documenta Should be curated by an artist, qui a ensuite été transformé en livre (Francfort, Revolver Books, 2004). Organisé par le commissaire d’exposition Jens Hoffmann, 31 artistes ont été invités à commenter sa proposition afin d’étudier la relation entre les pratiques artistiques et curatoriales. L’original est toujours disponible ligne http://projects.e-flux.com/next_doc/ricardo_basbaum.html. ↺
- Ricardo Basbaum, La production artistique : une conversation collective, SFU 15 octobre 2014. Traduit de l’anglais par Jean-François Caro pour le cahier du 19 2019-2, exposition collective (Con)Vivências. ↺
- Ricardo Basbaum, note d’intention pour Ah ! Oh !, juin 2024 ↺
- Au sens premier du terme : « Ce ou celui qui exerce une action, ce ou celui qui agit. » (Cf. Les Trésors de la Langue Française/ ATILF. Agent. Consulté le 10 décembre 2024). ↺
- Ricardo Basbaum, op. cit. ↺
- Guy Brett, « Art in the Plura » in Novas Direções du Museu de Arte Moderna, Rio de Janeiro, 2002. ↺
- Maja Ćirić, “the unspoken abuse” in Hospitality, Hosting relations in exhibitions. Direction d’ouvrage : Beatrice von Bismarck, Benjamin Meyer-Krahmer, Sternberg Press, 2016 ↺
- Raoul Hausmann et Kurt Schwitters, Préface-Manifeste pour le projet de la revue PIN, 27 décembre 1946. ↺
Infos utiles
L’exposition de Ricardo Basbaum est soutenue par la galerie Marli Matsumoto Arte Contemporânea (São Paulo), l’association Emmaüs de Montbéliard et est estampillée Saison Croisée Brésil-France 2025. L’artiste remercie particulièrement Luanda Francisco, Marli Matsumoto, Miguel Leal, Márcio Doctors, Julia da Mota, Romy Pocztaruk, Universidade Federal Fluminense. L’équipe du 19, Crac remercie chaleureusement l’Ambassade du Brésil à Paris, la Galerie Martins & Montero, Antoine Elias, le lycée Georges Cuvier, le collège Lou Blazer, le lycée des Huisselets et l’école des Autos.
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