Hugo Capron
Aquaboulevard
Hors les murs {Ecole d'art de Belfort, G. Jacot}
Exposition d’Hugo Capron à la Cantine d’art contemporain, École d’art de Belfort
Dans le cadre de la programmation hors les murs du 19, Crac.
Dans la carrière du jeune peintre français Hugo Capron, deux temps s’observent déjà. Avant son dernier voyage au Japon qui signe son passage à la figuration, ses œuvres jouent sur la double acception du métier de « peintre » qui fait s’entremêler le travail de recouvrement des murs et celui de la toile. Hugo Capron, dès sa sortie des Beaux-Arts de Dijon, s’impose la précision de cadres conceptuels et de protocoles de production en manipulant trois constantes, la toile, la peinture et le pinceau.
À ses débuts, s’il devait être classé, le travail de Hugo Capron appartenait à la peinture abstraite. Ses aspirations picturales s’éloignent de toute figuration et aucun motif n’émerge de ses premières œuvres. Le sujet du tableau est le tableau lui-même et non une narration qu’il aurait pu révéler. Le regard en tant que vecteur d’interprétation est distancié, c’est plutôt la relation physique au tableau en tant que telle qui est privilégiée. Elle appelle l’expérience directe invitant le spectateur à se frotter à la nature de la matière, aux réactions que sa perception provoque.
Japonisme
Ce pas de côté, qui marque le deuxième temps de sa pratique, le peintre l’a fait, comme nombre d’artistes avant lui, par le biais d’un ailleurs : le Japon. Déjà fasciné par la riche culture nippone, à l’instar de Bracquemond, Monet, Bonnard ou Degottex, Hugo Capron part en résidence à la Villa Kujoyama, à Kyoto en 2019. Abandonnant à la France certains réflexes, les toiles et les couleurs qu’il utilisait, il laisse le hasard guider ses nouvelles réflexions picturales.
Piqué par la découverte d’un catalogue datant du début du XXe siècle où sont présentées, en vue d’être commercialisées aux États-unis, les prouesses pyrotechniques d’alors, et mû par son passé d’imprimeur, son vif intérêt pour les estampes s’éveille. Il l’exprime dans sa série des feux d’artifice, mêlant les festivités d’antan à la culture contemporaine. Ici la figuration se révèle doucement. Bien que toujours contrainte à un cadre précis, celui infranchissable délimitant la toile, l’impulsion, la joie et la vigueur apparaissent dans la contrainte du tissu rectangulaire.
Il en va de même pour le motif du « poisson » qui, bien qu’étant repris dans la totalité de la série des carpes, jouit d’une certaine liberté. Visqueux, impossible à attraper à mains nues, il se dérobe. Gravitant autour des trois points récurrents que sont la nageoire, la bouche et l’œil, il se décline, s’ouvre. Ici, le mouvement, permis par la peinture à l’huile, est assumé. Un nouveau pont apparaît entre l’usage d’une matière employée par les générations de peintres occidentaux ayant façonné une histoire de l’art mondialement admise, et le sujet même de la peinture.
Pensée réflexive sur la peinture
Alors, l’artiste continue de sonder les rapports duels que les théoriciens introduisent de façon récurrente entre sujet du tableau et matière. Ces deux distinctions animant l’histoire de la peinture ont dernièrement été méprisées dans une fin de XXe siècle et un début de XXIe siècle boudant ce médium. Pourtant Hugo Capron, qui n’oublie pas qu’il est un peintre du présent, envisage ces réflexions à l’aune de raisonnements actuels. Qu’est-ce donc, aujourd’hui, qu’être peintre si ce n’est penser la frontière entre sujet et matière ? Hugo Capron a décidé que la réponse émergerait non pas d’une prise de position sur cet antagonisme, mais d’un dialogue avec la toile. « Il n’y a pas d’évolution dans l’art, j’ai arrêté d’essayer de faire “mieux que” et j’ai commencé à faire “avec” : avec l’héritage des générations passées, et surtout avec la toile. Je la regarde, je l’écoute et j’essaie de voir où je peux aller avec elle ».
« Aquaboulevard »
Les séries présentées ici prolongent une double critique envisagée dans Rendement, une série entamée en 2017 où l’artiste venait épuiser un seul pot de peinture industrielle sur une ou plusieurs toiles de lin, suivant scrupuleusement les préconisations de la notice d’utilisation. Une réflexion sur les possibilités de recouvrement de la matière se superposait à la critique d’une économie de production imposée à l’artiste dont la survie dépendrait de son rendement.
Dans la série des Carpes et des Feux d’artifice, la société du spectacle et particulièrement celle du monde des arts plastiques est pointée du doigt. Jonglant entre ce que l’artiste appelle « des tableaux qui parlent bas » (les carpes) et « des peintures qui parlent haut » (les feux d’artifice), Hugo Capron interroge les yeux parfois vitreux de celles et ceux qui s’attendent, coûte que coûte, à être frappés par les œuvres qu’ils perçoivent, et questionne l’injonction à la rentabilité et à la singularité à laquelle doivent répondre les artistes. Les séries de Hugo Capron en prennent le contre-pied. En maniant un motif unique dans un procédé répétitif, il cherche à mettre en avant les différences qui forment un tout. L’idée n’est plus de s’extraire ni de se distinguer, mais de décliner pour permettre de voir autrement. Et c’est finalement ce qui pourrait faire toute la force de l’artiste : offrir un regard qui ne cherche ni à faire mieux ni forcément à être novateur, mais simplement, comme il en va de toutes les perceptions, à être singulier.
Sandra Barré
Site web de l’artiste