Toxoplasma

Bric-à-brac
Exposition

Bac à Sable #31
TOXOPLASMA, Bric-à-brac

« Comme partout ailleurs les façades blanchies par les fulgurations thermiques s’effritent telle la craie mouillée. Les visages des statues s’envolent dans les bourrasques, en fine poudre cendreuse, condamnant les dieux et les hommes célèbres à l’anonymat. Les fresques et les détails architecturaux eux-mêmes s’estompent. Les carreaux des fenêtres, en fondant, se sont changés en stalactites de verre.2 »

L’exposition Bric-à-brac rassemble des processus et des œuvres hétéroclites. Elle s’est construite elle-même par assemblage à travers une succession d’invitations : du 19, Crac à l’association Juste Ici à Besançon dans le cadre de la 12e édition de leur festival Bien Urbain, de Juste Ici au duo d’artistes Suédois Akay et Olabo devenu Toxoplasma, de Toxoplasma à de multiples facettes du territoire jusqu’aux visiteur⋅euses.

La pratique de Toxoplasma se fond avec le rythme de la vie quotidienne. Elle se réalise la plupart du temps selon des principes de « violation discrète3 », indicielle et anonyme. Elle explore les espaces marginaux tels les entrepôts abandonnés, les bureaux vides ou les magasins désaffectés. Ces environnements post-industriels sont autant de toiles de fond d’explorations, d’expérimentations et de créations artistiques trouvant leurs racines dans l’espace urbain.

Les artistes sont à la fois des acteurs historiques et héritiers d’un art urbain des années 19704 mêlant illégalité, subversion, éphémère et ludisme. Leur posture, qui s’empare des techniques de parasitages, détournements et télescopages, s’envisage volontairement en friction avec l’environnement d’intervention afin de déjouer l’institutionnalisation qui guette des pratiques auparavant marginales et de rompre avec le cycle « de fascination, répulsion, destruction, expiation5 » que les acteur⋅ices de ce domaine constatent depuis plusieurs décennies.

Car c’est bien dans l’ambiguïté non résolue et la dissonance de ces gestes que résident la résistance à toutes catégorisations de ces pratiques, ainsi qu’une certaine poétique donnant à voir « une expérience […] des vitres brisées, de l’errance des corps en mouvement, une attirance pour les perspectives sans lumière, un romantisme du vandalisme qui prend autant soin des choses qu’il ne les abîme, une fascination pour les langages visibles ou invisibles qui se confrontent avec la matière précaire du réel, et qui se façonnent avec elle tout en la transformant6 ». Leur pratique, à la croisée de l’exploration urbaine, de l’artisanat post-industriel, de la désobéissance civile et de l’humour7, offre d’infinis possibilités d’interaction entre les publics et des espaces relégués. En apportant un regard à contre-courant sur ces zones oubliées et sur leur potentiel fertile, ils parviennent à en transmettre l’essence alternative et contestataire, agissant comme des révélateurs de la poétique de ces hétérotopies8.

L’espace public d’un centre d’art, compris comme un lieu laboratoire à expérimenter, constitue une autre forme de terrain de jeux pour le duo habitué aussi au « médium-exposition ». Leur travail peut alors y prendre la forme d’installations in situ et rassembler de manière documentaire une collection de gestes et d’actions réalisées lors de « dérives9 » préalables, dont la trace est conservée en vidéos ou en photographies. Leurs œuvres se composent également de collages, de sculptures interactives, de constructions et scénographies réalisées la plupart du temps à partir de matériaux trouvés ou récupérés. Ces créations plastiques « bricolées » à partir de leurs trouvailles reflètent non seulement une posture artistique, mais aussi un art de faire, les artistes dans leur quotidien vivant également du recyclage et de la réactivation des vestiges de surproduction permanente contemporaine.

En effet, le duo vit et travaille désormais à partir de trois lieux situés dans le même quartier à Stockholm et qui constituent le socle commun de ses productions artistiques. Depuis plusieurs années, selon un principe de « braconnage culturel10 », ils redonnent vie quotidiennement à des lieux abandonnés et non prévus pour un usage « domestique » en les nettoyant et les aménageant : un ancien arrêt de bus couvert devenu une serre, un atelier et une bibliothèque ; une tour désormais bureau et petite galerie d’exposition ; un totem publicitaire investi comme une cabane.

Ainsi, Bric-à-brac est aussi une exposition pensée comme un aller-retour entre deux géographies : l’une que les artistes maîtrisent et pratiquent quotidiennement, où ils vivent et travaillent; l’autre découverte et arpentée de façon ponctuelle et éphémère, hôte d’un projet artistique. Leur approche particulière des friches industrielles, des zones urbaines marginales ainsi que des rebuts de la société de consommation a été appliquée également à cette seconde localité. Les diverses réalités du Pays de Montbéliard, territoire post-industriel riche en friches, ont généré un dialogue fertile avec leur pratique d’un art public en somme qui a « besoin/provoque et crée de la conviction, du mouvement, de la contradiction, d’un intérêt sincère, d’une dynamique, du conflit, du contact11 ».

L’ensemble met ainsi en scène des éléments glanés à Montbéliard ou à Stockholm. Les voitures, cadres de vélo, cadenas, maquettes de leurs lieux de vie, images de leurs actions performatives ou d’architectures, deviennent ainsi autant de fragments d’une succession de constructions monumentales, indicielles ou même cachées ; des morceaux de récit en lien avec leurs explorations urbaines et à compléter par l’imaginaire de celles et ceux qui parcourent l’exposition. A ce titre, les vidéos réalisées en Pays de Montbéliard, réunissant plusieurs séquences où l’on voit les artistes escalader des espaces a priori non franchissables ou encore marcher sur des palissades et des barrières, semblent condenser « l’esprit » d’un travail à la recherche de l’équilibre entre appropriation architecturale et approche artistique située par l’action. Par bien des aspects, l’ensemble renvoie à une certaine esthétique dystopique orwellienne largement explorée par les artistes depuis leurs débuts.

Bric-à-brac s’est construite de manière performative, entre précarité et éphémère où chaque espace est conçu comme une situation, « moment de la vie, concrètement et délibérément construit par l’organisation collective d’une ambiance unitaire et d’un jeu d’événements12 ». Ces évènements, sont autant de propositions artistiques, comme une « unité minimale (et maximale) d’exposition des objets quotidiens manipulés de façon tout à fait quotidienne, en guise de contre-proposition à l’esthétique du white cube.13 ».

David Demougeot et Adeline Lépine
Curateur⋅ices de l’exposition

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  1. Depuis 2023, en période estivale, le 19, Crac propose d’explorer son potentiel d’espace public. Les expositions accueillies à cette période sont conçues partiellement comme un terrain de jeu pour les artistes et les publics, en présentant des œuvres « bac à sable » à activer. Le terme évoque à la fois le dispositif pour enfants dans les parcs et un type de jeux vidéo. Ces jeux dit également « bac à sable » se caractérisent essentiellement par l’absence d’objectifs imposés. La première occurrence avait été confiée en 2023 au Collectif The Outsiders basé à Utrecht (Pays-Bas) et s’intitulait, La Ville en Jeux ; la seconde, en 2024, a été conçue par le Collectif Assemble basé à Londres (Grande-Bretagne) et avait pour titre, Blood in the Machine.
  2. Serge Brussolo, Procédure d’évacuation immédiate des musées fantômes, Denoël, collection Présence du Futur, 1987
  3. L’expression est de l’artiste Etats-Uniens Gordon Matta-Clark (1943-1978) qui, malgré sa courte carrière en raison de sa mort prématurée, a eu une influence retentissante autant sur les artistes plasticiens que les artistes de l’art urbain, dans la continuité de ceux du Land Art dont il était proche (Robert Smithson, Walter de Maria, Michael Heizer entre autres). Il est connu pour sa déconstruction de l’espace architectural à travers des principes de perforation, d’amputation, de dissection des murs, fenêtres, sols et portes de bâtiments voués à la démolition.
    L’expression « violations discrètes » est employée par l’artiste dans un entretien avec Judith Russi Kirshner à Chicago en 1978. Elle désigne ses interventions qui souhaitent volontairement altérer la perception de l’espace à partir d’éléments familiers (« Entrevue avec Gordon Matta-Clark » in Gordon Matta-Clark, cat. exposition: Valence, Marseille, Londres, 1992-1993)
  4. Dans Photograffi(ti)es d’Expressions Murales : Pierres Philosophales (Volume 1) - Collectif des 12 Singes, 2010 - il est avancé notamment que la disponibilité de peintures émaillées vendues sous la forme d’aérosols rend possible et aisé la propagation d’une certaine pratique et esthétique du graffiti (qui lui, nous le savons, remonte à l’antiquité). Elle se développe dans le même mouvement que d’autres propositions artistiques qui s’emparent aussi de l’espace public, tel que le mouvement Fluxus par exemple, et pour lesquelles « l’art s’est déplacé de l’objet spécialisé en galerie vers l’environnement urbain réel » (Allan Kaprow, Essays on the Blurring of Art and Life, University of California Press,1993. Traduit en Français sous le titre L’art et la vie confondus, éditions du Centre Pompidou, 1996)
  5. Citation de l’article de Rafael Schacter, From pollution to purity: The transformation of graffiti and street art in London (2005–17) où il cite le sociologue, anthropologue, philosophe et théologien Français Bruno Latour (1947-2022) et son essai Iconoclash. D’une certaine manière, l’acte premier de l’art urbain est un iconoclash qui sème le doute car on ne sait si l’action est « destructive ou constructive ». Dans cet article, Schacter déplore l’institutionnalisation du graffiti à Londres, passant d’une pratique politique et marginale à un art décoratif par certains aspects. Dropbox
  6. Hugo Vitrani, extrait du communiqué de presse de l’exposition collective La morsure des termites du 16/06/2023 au 07/01/2024 au Palais de Tokyo tentant « une relecture spéculative de l’histoire de l’art envisagée sous le prisme du graffiti ».
  7. Les artistes citent l’artiste Italien Maurizio Cattelan (né en 1960), connu pour son œuvre mêlant provocation, irrévérence et dérision, comme l’une des pratiques visuelles contemporaines qu’ils ont plaisir à suivre et consulter.
  8. L’hétérotopie selon le philosophe Français Michel Foucault (1926-1984) désigne une localisation physique de l’utopie. Ce sont des espaces réels qui hébergent l’imaginaire (cabane d’enfants) et/ou qui sont utilisés aussi pour la mise à l’écart. Ainsi, Foucault désigne comme hétérotopie le cimetière, l’asile, le pénitencier, la maison de retraite, etc. Il s’agit également de lieux destinés à accueillir des actions et usages spécifiques, des « lieux autres » qui au sein de la société sont régis par des règles qui leur sont propres.
  9. « Le concept de dérive est indissolublement lié à la reconnaissance d’effets de nature psychogéographique, et à l’affirmation d’un comportement ludique-constructif, ce qui l’oppose en tous points aux notions classiques de voyage et de promenade. Une ou plusieurs personnes se livrant à la dérive renoncent, pour une durée plus ou moins longue aux raisons de se déplacer et d’agir qu’elles se connaissent généralement (…) pour se laisser aller aux sollicitations du terrain ». Guy Debord, Internationale Situationniste, N°2, 1958.
  10. Les usagers n’ont de cesse de détourner, consciemment ou non les usages prévus initialement des espaces publics. Ils « invente(nt) le quotidien grâce aux arts de faire, ruses subtiles, tactiques de résistance par lesquelles ils détourne(nt) les objets et les codes , se réapproprie(nt) l’espace et l’usage à sa façon (afin que) chacun tâche de vivre au mieux l’ordre social et la violence des choses. » Michel de Certeau, L’invention du Quotidien, 1. Arts de faire, Gallimard, Folio Essais, 1980.
  11. Extrait de l’un des nombreux panneaux explicatifs réalisés par l’artiste Thomas Hirschhorn en lien avec son processus artistique, ses recherches et ses réalisations. Les mentions sont du Schema: Art-Public Space, 2016-2022 consultable depuis son site internet : thomashirschhorn.com/maps-schemas
  12. Non signé, membres de l’Internationale situationniste, « Définitions », in Internationale situationniste, N° 1,‎ 1958.
  13. Extrait d’une définition par Elisabeth Lebovici de la notion d’Event chez l’artiste Etats-Uniens George Brecht (1926-2008). Celui qui considérait que « les événements les plus importants sont ces petites choses qui arrivent dans la rue » s’est intéressé notamment à l’aléatoire dans la continuité de ses études auprès de John Cage. Les Events sont une proposition à destination du spectateur⋅ices, de lire différemment les possibles de la vie quotidienne. A travers un système de notation ou partition, Brecht suggère des résultats possibles de combinaisons simples entre des objets et des actions. Par exemple, l’un des Chair Events (Evènement chaise) de 1960 associe une canne et une orange à une chaise blanche. L’article du 8 décembre 2008 de Lebovici est consultable sur son blog en ligne, Le beau vice : le-beau-vice.blogspot.com/2008/12/george-brecht-et-ses-event.html.

Infos utiles



L’exposition Bric-à-brac est issue d’une collaboration avec l’association Juste Ici et s’inscrit dans le parcours du festival Bien Urbain 2025.

Elle a été produite grâce au concours de La Recyclerie des Forges Vélo - Ensemblier DéFI à Audincourt et en partenariat avec Jaqu’auto, spécialiste du traitement des Véhicules Hors d’Usage (VHU) et de la vente de pièces détachées depuis 1976. www.jaquauto.com

A ce titre, une partie du travail vidéo de Toxoplasma est présentée à Besançon en parallèle, grâce au Mobilo, structure itinérante de Juste Ici, qui se déplace chaque jour dans un endroit différent de Besançon, pendant le festival.

Les artistes tiennent à remercier plus particulièrement TokyoBuild, Alicia Donat-Magnin et Rae.

— Vernissage le vendredi 6 juin 2025 à 18h30
— Entrée libre.

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©Toxoplasma
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