Suzanne Husky
La Parabole du Bièvre
Exposition
« Je rédige ceci à l’encre bleue, de manière à me souvenir que tous les mots, et non pas juste certains, sont écrits sur l’eau. »
Maggie Nelson, Bleuets, Éditions du Seuil sous la marque Éditions du sous-sol, Collection Feuilleton Non-Fiction, traduction française 2019.
Les expositions La Parabole du Bièvre de Suzanne Husky et Pas de cerise sans noyau de Ju Hyun Lee rassemblent les recherches des deux artistes sur la relation spécifique qu’entretiennent certains êtres vivants avec leur milieu. Quoique les sujets dont elles traitent puissent apparaître très éloignés (une espèce sauvage chez Suzanne Husky, un savoir-faire agricole chez Ju Hyun Lee), les deux expositions se répondent. Chacune est le produit d’observations à la fois intuitives, poétiques et documentées de l’écosystème de territoires bouleversés par l’action humaine. Elles présentent des œuvres qui travaillent à relier(1) et retranscrire les expériences des communautés (producteur·ice·s, agriculteur·ice·s, militant·e·s, chercheur·euse·s, artistes) qu’elles ont sollicitées. Ces communautés, comme les expositions, suscitent « une expérimentation collective qui fait monter un pouvoir [collectif] qui produit du changement(2)».
Suzanne Husky développe une pratique artistique qui interroge les formes de domination sur le vivant. Elle considère son travail comme le lieu d’une possible propagande : y sont formulées des propositions alternatives afin d’« œuvrer avec » la terre, d’en tirer les enseignements et ainsi de restaurer nos environnements. Ses œuvres peuvent prendre la forme d’un sol régénéré, d’un·e jardin-forêt, d’une institution fictive (Le Nouveau Ministère de l’Agriculture avec Stéphanie Sagot), mais également d’un inventaire des savoirs de la terre présents dans les contes. Formée en paysagisme et en agroécologie, elle est sensible à la nécessité urgente de réviser en profondeur nos représentations de la nature et de la place de l’être humain en son sein alors que « tout brûle ». C’est en explorant les liens entre le folklore, l’artisanat et les rituels qu’elle a fait cette rencontre décisive avec le castor.
La Parabole du Bièvre(3) nous livre ainsi une réflexion intime à propos d’une coexistence à réenvisager avec le castor hydrologue afin de réformer nos connaissances et nos systèmes de valeurs, de décoloniser notre rapport au sauvage. Plus concrètement, l’exposition replace au centre les enjeux pressants relatifs à la santé des cours d’eau et des zones humides en lien avec les problématiques climatiques actuelles. Partant du postulat(4) que le Castor dispose de plusieurs millions d’années d’expériences en matière de réhydratation du paysage, elle rassemble plusieurs ensembles d’œuvres recourant à différents médiums de l’image (aquarelle, vidéo, logotype) et de l’objet (installation végétale, collecte de traces) qui servent la campagne de l’artiste. Celles-ci sont nourries des rencontres de Suzanne Husky alors qu’elle parcourait l’immense place que le castor a occupée dans notre imaginaire et nos paysages avant d’en être effacé … puis difficilement réintroduit.
La parabole est un court récit allégorique procédant selon un principe de comparaison et pouvant emprunter des éléments de la vie quotidienne afin d’illustrer un enseignement ou une morale. Ici, les leçons du Bièvre nous entraînent sur les chemins d’une archéologie écoféministe. Elles nous invitent à une relecture de l’histoire des marécages à travers la réintroduction de ce non-humain oublié de la discipline. Sont abordées également les méthodes scientifiques de restauration de cours d’eau et des zones humides dans le « Pacific Nord-Ouest » des Etats-Unis qui s’inspirent des barrages formidables réalisés dans la perspective d’appeler un retour du castor. En fin de parcours, elles nous mènent vers les récits de la vie d’une naturaliste singulière au plus près de ce peuple, immergée dans son rythme saisonnier, à la redécouverte du marais dans son état premier, loin de la perception négative manufacturée qui condamne encore aujourd’hui nos zones humides.
Adeline Lépine
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1- Le « travail qui relie » est une méthodologie visant à approfondir notre connexion au vivant et à la terre afin de contribuer à la préparation à l’effondrement et à la guérison. Elle a été développée au milieu des années 1980 par la militante écologiste, autrice et psychologue américaine Joanna Macy qui est connue pour son implication dans la conceptualisation de l’écopsychologie.
2- Extrait de Starhawk, Femmes, magie et politique, Les empêcheurs de tourner en rond, Paris, 2003, p.19 cité par Émilie Hache dans une démonstration rapprochant action politique et acte magique in Eau et féminismes, petite histoire croisée de la domination des femmes et de la nature, ouvrage collectif coordonné par Lia Marcondes, éditions La dispute, collection Tout autour de l’eau, Paris, 2011, p.130.
3- Le titre de l’exposition est une référence aux deux ouvrages de l’autrice américaine Octavia E. Butler (1947-2006) : La parabole du semeur (1993) et La parabole des talents (1998). Le premier s’ouvre à Los Angeles en 2024. Le réchauffement climatique a entraîné la sécheresse et la montée des eaux de la mer. L’eau douce est rare, aussi précieuse que l’argent. Les incendies sont fréquents. Celles et ceux qui le peuvent vivent dans des enclaves fortifiées d’où sont repoussés les sans-abris. L’héroïne, Lauren Oya Olamina, se prépare à survivre au futur en se replongeant notamment dans le savoir ancestrale lié aux plantes des Amérindiens. La suite, qui débute en 2032, met en scène la fille de Lauren, dans un monde de violence porté par un nouveau candidat à la présidence souhaitant « rendre l’Amérique grande à nouveau » ….
Bièvre est un synonyme de Castor.
4- Confirmé par le rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) de 2022 préconisant la collaboration avec les castors comme l’une des solutions face au réchauffement climatique. En effet, les castors sont créateurs d’écosystèmes qui régulent les excès des pollutions, restaurent les ripisylves et accroissent la végétation ainsi que la biodiversité. Ainsi, ils contribuent à diminuer l’importance des crues meurtrières, à soutenir les niveaux d’étiage estivaux et également enrayer les risques d’incendies. https://www.sauvonsleau.fr/jcms/e_27984/castor—un-plan-d-action-nord-americain-pour-le-climat-en-eau-douce
Infos utiles
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L’exposition de Suzanne Husky est co-produite avec le CAP de Saint-Fons et le programme Veduta de la Biennale d’art contemporain de Lyon. Elle accueille des objets issus des fonds patrimoniaux de la Médiathèque de Montbéliard, ainsi que des Musées de la Ville de Montbéliard.