Léa Bouttier

Main, Seul, Feu, Dune
Hors les murs {Ecole d'art de Belfort}

« La réalité est une chose très subjective […]. On peut s’en approcher toujours plus, pour ainsi dire, mais jamais assez parce que la réalité est une succession infinie d’étapes, de niveaux de perception, de doubles fonds, et qu’elle est donc insatiable, inatteignable.1  »

Pour Léa Bouttier, la sculpture est tour à tour un décor, une actrice ou encore un scénario qui guide la réalisation. Elle est un outil sur lequel s’appuyer pour comprendre et lire le monde. Elle peut devenir assise, béquille ou prothèse, extension de nos corps et de nos sens. Ainsi, le médium sculptural est omniprésent dans son travail, même lorsqu’elle investit les champs de la vidéo, de l’installation ou de l’écriture.

« J’explore la manière dont l’humain entre en relation avec les formes et les comprends. Ces dernières, silencieuses, sont sujet à interprétations et surinterprétations ; nous projetons sur elles. 2»

Á partir de ses explorations des formes et de la matière dans l’espace, Léa Bouttier aborde la manière dont se composent nos réalités subjectives. L’ambiguïté de ses objets est favorable à la projection : en mêlant le design et les formes corporelles3 , ils incitent les visiteur·euses à venir compléter des espaces manquants ou à se mettre en action.

« Dans mon travail, les sculptures sont parfois des personnages, [mais] elles n’ont jamais de voix. La parole et les sentiments qui leur sont attribués sont une traduction humaine. Aussi certaines sculptures développent des récits exagérés qui s’amusent du rôle de l’artiste dans la création, et de l’interaction entre l’observateur et les formes. […] L’usage qu’elles proposent peut-être multiple ; elles n’ont pas de mode d’emploi.4 »

Dans son vocabulaire technique et critique de la philosophie5 , André Lalande définit le terme perception comme l’« acte par lequel un individu, organisant immédiatement ses sensations présentes, les interprétant et les complétant par des images et des souvenirs, écartant autant que possible leur caractère affectif ou moteur, s’oppose un objet qu’il juge spontanément distinct de lui, réel et actuellement connu par lui ». Léa Bouttier a d’abord envisagé l’exposition Main, seul, feu, dune en lien avec sa lecture attentive de L’art de la mémoire de Frances A. Yates. L’ouvrage de 1975 traite de l’histoire des systèmes et techniques de mémorisation au croisement de celle des religions, de la morale, de la philosophie et de l’art. Il révèle aussi que l’art de la mémoire est intimement lié à celui de l’imagination et que leur alliance, comme mentionné par Lalande, mène à la construction de notre perception.

« Le statut de mes sculptures, comme leur matière, est mouvant, laissant rarement transparaitre leur véritable nature. Elles interrogent la fiabilité de nos perceptions6. »

L’acte de perception chez Léa Bouttier est donc indissociable de l’acte de création. C’est cette association qui guide ses processus artistiques, mais également sa manière d’envisager la présence des publics auprès de ses œuvres ou au sein de ses expositions. C’est ainsi que Main, seul, feu, dune a été conçue à la fois comme « une entrée sur la pensée de quelqu’un d’autre7  » et un dispositif ouvert au sein duquel chacun·e trace « son propre chemin dans la forêt des choses, des actes et des signes qui leur font face ou les entourent8 » selon des principes d’analogies, des mécanismes de projection et parfois également des réflexes empathiques face à des objets à l’aspect charnel ou anthropomorphe qui jalonnent le parcours. Comme les mots du titre de l’exposition, les œuvres sont à la fois des ilots autonomes et des fragments d’un récit que l’on complète instinctivement les yeux mi-clos, les sens en éveil, à tâtons, comme ces histoires qui surgissent la nuit et que l’on doute d’avoir vues, vécues ou rêvées9.

Léa Bouttier a participé à la résidence Artiste plasticiens au Lycée initiée par la Région et la DRAC Bourgogne-Franche-Comté avec les élèves de seconde option arts plastiques du Lycée Cuvier de Montbéliard et les élèves de terminale option Humanités, Littérature Philosophie du Lycée Armand Peugeot de Valentigney.


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  1. Vladimir Nabokov, Intransigeances, éditions Julliard, 1986 (pour la traduction française).
  2. Léa Bouttier, note d’intention pour la résidence Artistes Plasticiens au Lycée.
  3. Pièces de mobilier, déplaçables ou manipulables comme des jeux, réalisés dans des matériaux caractérisés par une certaine sensualité ou encore plus simplement évoquant des formes anthropomorphes.
  4. Léa Bouttier, Op. Cit.
  5. Edition consultée : Collection : Dictionnaires Quadrige, Presses Universitaires de France (PUF), 2010.
  6. Léa Bouttier, Op. Cit.
  7. Entretien avec l’artiste, octobre 2024
  8. Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, La Fabrique Editions, 2008
  9. Référence à l’édition Les Nuits de Jeannette de l’artiste qui accueille le public à l’entrée de l’exposition.

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