Une exposition collective

Zones de (non)être
Exposition

Avec des œuvres de Tania Candiani, Nicolas Daubanes et Louisa Yousfi, Domènec, Armand Gatti, Laila Hida, Adelita Husni-Bey, Laura Molton, Groupe Medvedkine Sochaux, Maeva Totolehibe, Carole Roussopoulos, Erika Roux, María Ruido, Nil Yalter.

Curatrices: Violeta Janeiro Alfageme et Adeline Lépine

«Chacun de nous portait, un par un,
des rêves fatigués et incontrôlables.
Nous sommes tombés dans le silence,
dans une solitude orpheline,
nous nous sommes abandonnés
pour que le monde soit un endroit meilleur. »

Meral Şimşek, extrait de « rêve et réalité »
in Incir Karasi ou Rêves de réfugiés, 2022.

L’exposition Zones de (non)être 1 a débuté sa réflexion à partir de l’histoire ouvrière locale pour remonter aux revendications politiques de mai 68 en France. Ces dernières exigeaient alors non seulement des améliorations dans le domaine du travail, mais jetaient également les bases d’une critique plus large des formes d’exclusion et de domination sociale. Tout au long des années 1970, ces luttes se sont étendues et ont trouvé un écho auprès d’autres groupes historiquement marginalisés, tels que les femmes, qui ont commencé à rendre visible leur position subordonnée, même au sein des mouvements ouvriers eux-mêmes. Ainsi, l’horizon de transformation sociale impulsé par la classe ouvrière s’est élargi, intégrant des revendications féministes, antiracistes et anticoloniales qui remettaient en question non seulement l’exploitation économique, mais aussi les inégalités structurelles dans tous les domaines de la vie.

L’exposition adopte par ailleurs une réflexion critique sur les zones d’exclusion ou de relégation des sujets minoritaires ou invisibilisés par les structures créées par le patriarcat, le capitalisme et la colonisation. En dialogue avec la question de Gayatri Chakravorty Spivak — « Les subalternes peuvent-elles parler ? 2» —, Zones de (non)être interroge la possibilité de représenter l’émancipation de ces groupes sans qu’elle soit cooptée par les discours hégémoniques. Ainsi, les œuvres réunies ici partagent une sensibilité située, qui prend parfois les aspects de la recherche ethnographique, parfois ceux du témoignage. Toutes interrogent, au sein de notre société contemporaine, qui peut produire du savoir et qui a le droit de s’exprimer et se permettent « de poser la question plus actuelle que jamais de la légitimité de la parole des “dominés”, de la nécessité de faire entendre leur voix et de les écouter attentivement, de leur droit à imposer leurs mots[…] c’est aussi leur accorder le droit de parler leur propre langage 3».

Par ailleurs, les enjeux incontournables de préservation de ces mémoires aujourd’hui réunissent également l’ensemble des œuvres et des pratiques au sein de Zones de (non)être. Les expériences personnelles peuvent à nouveau être incarnées, transmises, partagées, puis ressenties par celles et ceux qui les reçoivent. L’exposition soulève volontairement plus de questions que de réponses : quelle(s) continuité(s) existe-t-il entre les luttes ouvrières du passé et les formes actuelles de précarité sociale et professionnelle ? De quelle manière le discours sur le progrès dissimule-t-il les tensions structurelles qui continuent de reproduire des inégalités et des formes d’’aliénation ? Comment l’activation des mémoires au présent peut nous encourager à faire converger nos luttes personnelles vers une révolution collective ?

  1. En 1952 dans l’introduction de Peaux noires, masques blancs, Frantz Fanon définit l’expression « Zone de non-être » qui donne son titre à l’exposition : « Il y a une zone de non-être, une région extraordinairement stérile et aride, une rampe essentiellement dépouillée, d’où un authentique surgissement peut prendre naissance. Dans la majorité des cas, le Noir n’a pas le bénéfice de réaliser cette descente aux véritables Enfers. ». Pour Fanon, le capitalisme n’est pas seulement une question économique. Il s’agit également d’un projet racial. Ce racisme est une hiérarchie de supériorité et d’infériorité, située sur la ligne séparant l’humain du non-humain. Les personnes situées au-dessus de cette ligne sont reconnues socialement comme possédants évoluant dans la zone de l’être. Au-dessous, les non-possédants demeurent dans la zone du non-être.
  2. Gayatri Chakravorty Spivak, « Can the subaltern speak? ». in C. Nelson & L. Grossberg (Eds.), Marxism and the Interpretation of Culture (pp. 66-111). University of Illinois Press, 1988. Essai disponible en français sous le titre Les subalternes peuvent-elles parler ? aux Éditions Amsterdam, 2020.
  3. Stéphane Beaud et et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière - Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Éditions la Découverte, 2011.

Infos utiles

L’exposition Zones de (non)être est réalisée en collaboration avec les collections du Musée du Temps, du Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir, d’Iskra, de La parole errante, de la collection Trussardi et du 49 Nord 6 Est Frac Lorraine. Son organisation est permise par le concours de la Villa Médicis pour l’œuvre de Nicolas Daubanes et Louisa Yousfi, et du Jeu de Paume pour l’œuvre de Laila Hida. Ce projet est rendu possible grâce au soutien de Acción Cultural Española (AC/E) pour Violeta Janeiro Alfageme et Domènec. Les curatrices tiennent particulièrement à remercier Alexandra et Geronimo Roussopoulos et Jean Hocquard.

— Entrée libre
— Vernissage le vendredi 26 septembre à 18h30

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Fragment of A Landscape - Ouadane Edition, 2025 © Laila Hida.
Groupe Medvedkine et Bruno Muel, Sochaux, 11 juin 1968, 1969 © slon-iskra
Sounding Labor, Silent Bodies, 2020 © Tania Candiani Industries, Contemporary Arts Center, Cincinnati